Pour les passionnés et amateur de psychologie de l'enfant.
L'université dans laquelle j'ai étudié jusqu'au master 1 était très axée sur la recherche.
Ce qui me convenait tout à fait, car aller de l'avant dans nos connaissances me passionnait.
J'ai réalisé une quinzaine de rapports de recherche traitant de thèmes très variés : l'apprentissage des mathématiques, le divorce, les dessins d'enfant, le suicide des adolescents, l'autisme, la névrose hystérique, la psychosomatique, les théories freudiennes, le phénomène de couvade...
Pour ma recherche de Master 1, j'avais choisi un sujet issu de ma pratique d'art-thérapeute avec un groupe d'enfants autistes dans un institut médico-psychologique de la région lyonnaise, où j'effectuais un stage d'un an, en 1992.
Les enfants étaient internes, et l'école était assurée à l'intérieur de l'institut.
J'étais, entre autre, en charge d'animer un atelier d'art-thérapie, à raison de 2 fois par semaine. J'avais beaucoup étudié les dessins d'enfants et l'autisme. J'avais aussi moi-même longtemps suivi des cours d'arts plastiques, en plus de peindre à mes heures perdues, depuis mon adolescence. J'étais donc à l'aise dans cet environnement. 6 enfants autistes étaient régulièrement présents lors de ces séances. Ils avaient de 7 à 15 ans. Je m'interrogeais sur leur image du corps et les conséquences de leur autisme dans la construction de celle-ci. J'espérais aborder à travers les dessins du bonhomme leur représentation de leur propre corps, mais aussi d'essayer par l'échange via le média graphique, de faire évoluer cette représentation par feed-back spéculaire. Lors de séances durant lesquelles je leur demandais régulièrement de dessiner un bonhomme, j'ai noté une particularité récurrente dans leurs dessins. En effet, 3 de ses enfants me dessinaient régulièrement un visage avec 3 yeux. Je vous fais un schéma pour mieux comprendre. Le nez coupait souvent ce 3ème œil de la façon suivante.
Pour tenter de comprendre la présence de ce troisième œil, j'ai posé comme hypothèse que lors de leur "passage autistique", créant un arrêt de leur développement psychique, la représentation de leur espace interne, corporel et externe, était par conséquent déformée.
L’image du corps se construit normalement via les interactions entre l’environnement, sa propre sensorialité et les échanges relationnels.
Cette construction passe du perceptif à l’imaginaire (représentation) et commence dès la vie intra-utérine jusqu’à individuation et permanence de l’objet.
En l’absence de sa mère, (à condition qu'elle soit adaptée à ce que l'enfant peut gérer) le bébé va halluciner les perceptions sensorielles qu’il a mémorisées, puis remplacer le sein par le pouce.
Les perceptions sont d’abord tactiles (Spitz, moi-peau de Anzieu), puis visuelles (avec le développement progressif de la convergence, vision binoculaire introduisant la distance et la profondeur), et auditives (permettant aussi la gestion de la distance). On parlera alors d’espace perceptif.
Ces perceptions vont contribuer progressivement à la construction mentale d’une représentation corporelle et spatiale. Une organisation spatiale et une continuité temporelle s’esquissent en permettant la construction d’une enveloppe psychique.
M. Malher a décrit le stade normal de l’autisme et le processus de séparation-individuation qui s’ensuit.
Cette sensorialité expérimentée dans le jeu et l’exploration motrice (objet dans l’espace) permet l’individuation progressive de la mère, et l’intériorisation de la fonction contenante maternelle (G.Haag), le sensori-moteur devient pensée (Anzieu).
Dès la naissance, le bébé se conçoit comme un tout avec la mère, D. Anzieu parlera de « Fantasme d’inclusion réciproque ». Lors des absences répétées de la mère, la distance s’introduit progressivement entre ces 2 corps, ce qui pousse l’enfant à se différencier corporellement, mais aussi de prendre en compte mentalement la distance et la profondeur perçues.
Le stade de l’angoisse du 8ème mois (Bowlby) signe la prise de conscience du bébé de la séparation d’avec la mère, d’où la peur de l’étranger, le stade de la spécularité lors duquel l’enfant calque les autres en miroir par rapport à lui, en ignorant toute latéralité, puis le stade de l’objet intériorisé en son absence (for-da de Freud) et la période du « non » sont quelques repères de l’évolution de cette différenciation.
Le langage participe aussi à la construction interne de ce corps et nait même de la frustration de l’absence de la mère (Freud).
On parlera alors d’espace imaginaire et de représentation de l’espace.
Dans l’autisme, un arrêt du développement fait échouer ce processus d’individuation. L’enfant en passage autistique reste dans une confusion entre perception sensorielle et perception hallucinée.
L’identification adhésive pathologique (Meltzer) prédomine et l’enfant se perçoit comme « collé » par sa sensorialité à l’autre, sans différenciation, sans contenant corporel fermé. L’enfant autiste fonctionne par mimétisme vis-à-vis de l’objet, manifestant ainsi sa dépendance à l’objet, sans pouvoir se séparer de lui et créer sa propre identité. C’est la symétrie spéculaire de l’espace.
F.Tustin décrit un vécu de discontinuité d’avec l’objet, un arrachement du sein insupportable laissant un vide abyssal, qui pousserait l’enfant autiste à chercher avec compulsion à se recoller à ce sein/objet pour retrouver les sensations sans pouvoir supporter la moindre discontinuité temporelle ou changement, au risque de revivre des angoisses archaïques comme le morcellement, la chute ou des sensation de dévoration. Elle décrira dans l’autisme, une conception d’un corps surface puis un corps tube ou troué et qui doit normalement évoluer en corps sphère.
Cette bidimensionnalité par arrêt de développement ou régression, prédomine dans la relation autistique à l'objet libidinal dans un monde où l’espace est sans profondeur ni distance, il s’agit d’une relation de surface à surface, de collage.
Sami Ali a relaté la construction de l’espace dans la dynamique pulsionnelle, le tiers s’incluant dans la dyade mère-enfant introduisant la distance et la profondeur et donc la tridimensionnalité.
Il me restait à comprendre le lien entre les dessins du bonhomme à 3 yeux avec les particularités autistiques de l’image du corps vécu dans une sensorialité collée, figée dans un espace bidimensionnel et spéculaire, sans profondeur ni latéralité.
Pour cela, j’ai imaginé un enfant autiste se regardant dans un miroir pour découvrir son visage. En supposant que sa perception était en 2 dimensions (bidimensionnelle), sans profondeur, cela signifiait qu’il se percevait comme « collé » à cette image de lui-même, donc comme collé au miroir, sans vision binoculaire.
J’ai donc collé le miroir à mon propre visage, et j’ai vu, avec la convergence de mes yeux s’exerçant sur cet objet trop près, un 3eme œil tel qu’il était dessiné par ces enfants, au centre de mes 2 yeux.
Ce qui suppose que ces dessins de visage du bonhomme sont bien la projection autistique de leur image du corps :
- frustre, car cela ne correspond pas du tout à leur âge réel, dû à l’arrêt du développement perceptif, cognitif et affectif qui marque la pathologie autistique.
- Et surtout, la présence du 3ème œil témoignant de leur conception encore bidimensionnelle de l’espace et l’absence de distance avec l’objet. Leur relation à l’autre et aux objets est encore collée, et symptomatique d’un Moi-peau cherchant encore un contenant.
Le dessin du bonhomme, permet de travailler à la forme, à la matière, du contenu, et du contenant du Corps en obligeant une projection d’une représentation. Nous avons donc, par la suite, tenté de matérialiser la distance et la profondeur dans notre atelier, en interposant des objets ou des personnes entre 2 objets, ou bien en couvrant ou en remplissant un objet de pâte à modeler avant de le dessiner.
Nathalie DARMON
Psychologue clinicienne et cognitiviste de l'enfance et de l'adolescence.
Spécialisée dans les difficultés d'apprentissage et la surdouance.
Bilans et rééducations.
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